Entretien avec l’artiste californien Michael Kershnar (en) Interview with Californian artist Michael Kershnar

michael kershnar mural rue saint maur - rue saint marthe - 11 arrondissement - photo by marco zavagno(fr) Michael peignant au bar Le Dude dans la rue St Marthe et dans la rue St Maure dans le 10ème arrondissement. Photo par Marco Zavagno (2014).

(en) Michael paints at Le Dude bar at Rue St Marthe and Rue St Maur in the 10th arrondissment. Photo by Marco Zavagno (2014).

(fr) L’hybridation est un terme approprié mais trop réducteur pour décrire l’art de Michael Kershnar – une fusion de graffiti et de culture skate, d’iconographie amérindienne, de récits de l’Ancien Testament. Dans le cas de l’œuvre de Michael Kershnar, par exemple, le terme hybridation pourrait réduire la nature multiforme de son art à un simple mélange d’éléments culturels, sans tenir compte des significations plus profondes, des contrastes intentionnels et des subtilités qui définissent l’œuvre. Nous l’avons rencontré dans son appartement près des Grands Boulevards, où il vit depuis quelques mois. Autour d’un fromage et d’un avocat, il nous a raconté son histoire.

(en) Hybridisation is an apt but too reductive term to describe the art of Michael Kershnar – a fusion of graffiti and skate culture, Native American iconography, Old Testament narratives. In the case of Michael Kershnar’s work, for example, to call it ‘hybridisation’ might reduce the multifaceted nature of his art to a mere blending of cultural elements, overlooking the deeper meanings, intentional contrasts and layered intricacies that define the work. We met him in his apartment near the Grands Boulevards, where he has been living for a few months. Over cheese and avocado, he told us his story.

(fr) Comment décrirais-tu ton Œuvre, son message, le public auquel elle est destinée?

(en) How would you describe your work, its message, its audience?

(fr) La création, le Créateur, quelque chose de plus grand, essayant d’invoquer d’anciens sentiments, mais aussi quelque chose de familier qui touche les personnes, quel que soit leur genre ou leur âge.

(en) Creation, the Creator, something bigger, trying to evoke ancient feelings, something familiar that touches people regardless of gender or age.

(fr) Je veux que des enfants et leur grand-mère puissent aimer mon travail. Je veux aussi qu’un public hardcore – des skateurs, des graffeurs cyniques, –  puissent y trouver leur compte. Bien sûr, tout le monde ne peut pas aimer, mais j’aime rendre mon travail accessible. J’essaye toujours d’aborder ce que j’appelle les vérités esthétiques : une composition parfaite, une utilisation de l’espace parfaite, un savoir-faire ou une beauté indéniable.

(en) I want little children and their grandmothers to like it. I want a hardcore audience to like it: skateboarders, cynical graffiti writers, everybody. And of course not everyone will like it, but I want to make it accessible. I’m always trying to get closer to what I would call aesthetic truths: perfect composition, perfect use of space, that there’s a certain mastery or undeniable beauty.

(fr) En quoi est-ce lié au skateboard ?

(en) How does it relate to skateboarding?

(fr) C’est lié au skateboard, car je passe beaucoup de temps dehors et je travaille dans des lieux. Si tu skates longtemps, tu grinds les curbs, tu sautes par-dessus – et tous les curbs sont précieux pour un skateur. Quand tu colles des stickers ou des œuvres de street art dans la rue, c’est la même démarche, avec un support différent, comme des poteaux par exemple. Il y a de petits poteaux devant lesquels tu passes, sur lesquels tu peux coller des choses, pareil pour le revers des panneaux de signalisation… Les petits recoins ont beaucoup de valeur, c’est presque comme si on les chatouillait, on les apprécie et on y ajoute des choses. Les passants n’y prêtent pas vraiment attention, mais un certain public considérera que ces ajouts sont ce qu’il y a de mieux dans la ville.

(en) It’s connected to skateboarding because it’s outside and for me it’s a lot about spots. When you’re skating from place to place, you’re grinding the curb, you’re ollie-ing the curb – and every curb is valuable to a skater – when you’re approaching putting up stickers or street art, it’s the same thing, it’s just about poles, for example. There are the little ones you walk by that you can put stuff on, the backs of crosswalk signs… The little nooks and crannies of the city are valuable, and you kind of tickle them, appreciate them, add to them, and the public doesn’t really care about either one of them, but for a select audience, they’re the best the city has to offer.

michael kershnar owl

(fr) Qui sont tes street artistes préférés ? Et quel type de street art aimes-tu ?

(en) Who are some of your favourite street artists? And what is it about street art that you like?

(fr) Les artistes que je considère comme les meilleurs sont des gens comme Barry McGee  c’est lui qui fait ça le mieux. Vous pouvez trouver des « hand styles », des stickers, des « fill-ins », donc il a une pratique très active. Pareil avec Pez ou MQ  à San Francisco, et ici à Paris, tu as SupeEd Templeton est dehors tous les jours à photographier dans les rues.

(en) The artists that I think are the best are people like Barry McGee, he’s the guy that does it the best. You can find hand styles, you can find stickers, you can find fill-ins, so he’s got an active practice. Same with Pez or MQ in SF, and here in Paris you have SupeEd Templeton is out there every day photographing in the streets.

(fr) C’est public, c’est pour tout le monde, c’est comme les Fontaines Wallace de Paris – tout le monde peut y boire. Je ne pense pas que l’art devrait être une sorte de tour d’ivoire; l’art est par essence populaire. C’est une manière pour les gens de montrer ce qu’ils ont, et de voir ce que les autres ont à montrer. J’aime quand des gens avec du talent et de l’expérience font des pièces dans la rue à côté d’artistes débutants.

(en) It’s public, it’s for everybody, it’s like the green Wallace Fountains in Paris – everybody can drink from it. I don’t think art should be an ivory tower thing, I think it’s kind of populist in nature and it’s your way of showing what you’ve got and wanting to see what other people have got. I like it when really masterful people do things on the streets alongside the new jacks.

(fr) On ne devrait pas juste voir des publicités dans la rue ; c’est bien plus personnel de voir l’art de quelqu’un. Il ne faut pas que ce soit une entreprise ou l’argent qui soit mise en avant, mais plutôt l’expression artistique d’un individu.

(en) It shouldn’t just be advertising in the visual landscape, it’s much more personal to see someone’s art. It shouldn’t just be a corporate or money-driven thing. There should be signs of individual expression.

shrine michael kershnar

michael kershnar street art paris(fr) Une boutique abandonnée à Paris Rue Vertbois, 3ème arrondissement de Paris.

(en) An abandoned shop in Paris Rue Vertbois, 3rd arrondissement of Paris.

husky michael kershnar street art paris(fr) Une figure archétypale de loup, inspirée par son animal domestique d’enfance, un husky appelé Keomi.

(en) An archetypal wolf face inspired by Kershnar’s childhood pet, a husky named Keomi.

(fr) Pour qui ton art est il fait ?

(en) Who do you make your art for?

(fr) Je fais de l’art pour moi-même, ma famille et mes amis. Il y a toujours une vocation spirituelle, donc pour moi c’est une contribution. C’est ma manière de montrer et de faire quelque chose dans ce monde, donc c’est pour tout le monde. J’aime aussi beaucoup Instagram, j’aime poster des photos pour mes potes en me disant « Celle-ci, on y retrouve beaucoup San Francisco et Nina et Jack dedans », et celle-ci c’est quelqu’un d’autre.

(en) I make art for myself, my family and friends. It’s always spiritually dedicated, so I feel it’s my contribution. It’s my way of showing up and doing something in this world, so it’s for everyone. I also really like Instagram, I like to post there for the homies, like « this one, there’s a lot of Francisco and Nina and Jack in it » and this one is someone else.

(fr) Nina et Jack ?

(en) Nina and Jack?

(fr) Ce sont des amis à San Francisco qui m’inspirent dans mon travail.  Des gens adorables. Ils aiment aussi vivre dans la nature, par exemple, pratiquer la pêche responsable. Justement, il n’y a pas beaucoup de nature dans les villes, donc c’est amusant de ramener des animaux dans la ville au travers de mon art, et rappeler aux gens que le monde est grand, que nous ne représentons qu’une espèce.

(en) They’re friends in San Francisco who inspire my work. Lovely people. They’re also interested in living in nature, like consciously fishing. It’s the other side, there’s not much nature in the city, so it’s fun to bring the animals into the city through my art and remind people that it’s a big world, we’re just one species.

(fr) Comment en es tu arrivé à l’idée d’intégrer la nature dans ton travail ?

(en) How did you get the idea of bringing nature into your work?

(fr) J’ai grandi avec un husky sibérien, son nom était Keomi. Je l’adorais et sa tête ressemblait à celle d’un loup. Ma sœur et moi avions l’habitude de la dessiner quand nous étions enfants. Donc mes personnages actuels s’en inspirent. J’ai toujours été intéressé par la dynamique entre les loups et les hommes et le lien spirituel qui existe entre eux. C’est un lien très ancien.

(en) I grew up with a Siberian Husky named Keomi. I loved her so much and she had this wolf-like face. My sister and I used to draw her when we were kids. So my characters actually came from trying to draw my dog’s face. I have always been interested in the dynamic between wolves and humans and the spiritual bond that exists. I feel like it’s really ancient.

coyote front nose paris republique michael kershnar street art paris(en) Michael Kershnar (à gauche) faisant du skate à République. Photo par Luidgi Gaydu (2014).

(fr) Michael Kershnar (left) skates at République. Photo by Luidgi Gaydu (2014).

Thrasher magazine hebrew typography Michael KershnarHomage à Thrasher.

Homage to Thrasher.

(en) Qu’elle est ton expérience de la culture des natifs américains ? Comment t’es-tu faite ton idée personnelle sur le développement spirituel ?

(en) What was your experience of Native American culture? How have your personal ideas about spirituality developed?

(fr) Quand j’étais enfant, je me suis toujours identifié aux natifs américains, j’aime le fait qu’ils soient proches de la terre et qu’ils accordent beaucoup d’importance à leur spiritualité. Au travers de mon travail pour la marque de skate Element et le programme appelé Elemental Awareness, nous sommes devenus bons amis avec des gens des réserves indiennes Apache et Navajo. J’y ai été un tas de fois et j’ai travaillé sur l’art et les dons primitifs. Quand je parcours le monde, je peux présenter cela. C’est une histoire qui a plus de profondeur que « l’homme blanc qui dessine des tipis ». Ce n’est pas juste comme « Oh ! Qu’est-ce qui est à la mode au printemps 2015 ? Un tipi fluo portant des lunettes de soleil ! ». J’adore l’ancienne culture native américaine, et j’aime celle d’aujourd’hui. J’ai beaucoup de chance de faire partie de cette culture aujourd’hui car quand j’étais enfant je ne connaissais personne de cette culture, personne aux caraïbes, et personne en France. Nous pouvons choisir d’être des citoyens du monde, si nous embarquons sur cette aventure.

(en) As a kid I always identified with Native Americans, I liked that they lived close to the land and their spirituality. Through my work with the Element skate brand and a programme called Elemental Awareness, we’ve become good friends with people on the Apache and Navajo Indian reservations. I’ve been there a lot, working on art and primitive skills. Especially when I’m travelling around the world, I can sort of present that. It’s a bigger story than ‘white man draws a tepee’. It’s not just like, « Oh! What’s in for spring 2015? A neon tepee wearing sunglasses! » I love Native American culture then and I love it now. I feel blessed to be a part of it today because when I was a kid I didn’t know people from that culture, I didn’t know Caribbean people, I didn’t know French people. We can choose to be citizens of the world if we go on this adventure.

(fr) J’ai grandi dans une famille juive, j’ai fait ma bar-mitzvah, j’ai appris à lire l’hébreu… Je suis plutôt familier de l’Ancien Testament et de la littérature juive, j’aime toutes ces histoires. Quand j’étais enfant, je ne voulais pas aller à l’école hébraïque le mardi, le jeudi et le dimanche, je voulais faire du skate. Mais maintenant, je vais à la synagogue, je connais les histoires, j’ai le sentiment que ça a été une bonne éducation pour moi. Tous mes grands-parents sont juifs, je maintiens donc un certain dogme culturel pour eux : je mange kasher et je n’ai pas de tatouages. Mais sinon, je dépense de l’argent le samedi et d’autres choses comme ça. Je m’intéresse à toutes les religions du monde. J’ai voyagé au Népal. Je m’intéresse à la recherche du sens de l’existence humaine, et je peux voir que la quête de mes ancêtres était la même. Cela m’a donné des bases solides quand j’étais enfant. « À quoi va ressembler ton lien avec Dieu ? » C’est une bonne question à poser à un jeune, comme l’histoire d’Abraham dans la tradition juive : « Comment comptes-tu faire ? ». Pour moi, c’était le skate. Puis, pour faire quelque chose de positif pour le monde, j’ai cofondé Elemental Awareness, une organisation caritative que mon meilleur ami et moi avons créée. Et ensuite, ma contribution au monde est devenue l’art. Je garde cet engagement que j’ai pris enfant, que j’ai développé. J’apprends à me connaître, à savoir qui je veux devenir et qui nous pouvons tous être. Voilà mon histoire.

(en) I grew up fully Jewish, I had a bar mitzvah, I learned to read Hebrew… I am quite familiar with the Old Testament, Jewish literature – I like all those stories. When I was a kid I didn’t want to go to Hebrew school on Tuesdays, Thursdays and Sundays, I wanted to go skating. But now when I go to synagogue, I know the stories, I feel like the education has been really good for me. All my grandparents are Jewish, so I maintain a kind of cultural dogma for them, I eat kosher and I don’t have tattoos, but other than that I spend money on Saturdays and things like that. I’m interested in all the world’s religions. I’ve been to Nepal. I’m interested in man’s search for meaning and I can see that my ancestors’ journey was the same. It gave me a strong foundation as a child, « What is your interaction with God going to be like? » It’s a good question to ask a young person, and it’s like the Jewish question. With the Abraham story, « How are you going to do it, dude? » So I was like, I’m going to do it through skating, I guess. And to do something positive in the world, it became Elemental Awareness, this non-profit that my best friend Todd and I started with Element. And then it wasn’t running a non-profit, that wasn’t for me, it was the art. And now I feel really at peace with art as my contribution to that. And so I’m keeping the commitments that I made as a child and evolving and growing and acknowledging who I am and who I could be and who we all can be, that’s my story.

Beastie Boys concert poster michael kershnar(fr) Poster pour un concert des Beastie Boys par Michael Kershnar

(en) Beastie Boys concert poster by Michael Kershnar.

michael kershnar wood knife(fr) Image des compétences primitives que Kershnar a apprises en grandissant, et qu’il a pu transmettre aux autres avec la fondation, Elemental Awareness.

(en) Imagery on the primitive skills Kershnar learned growing up, which he teaches to others through the foundation he helped to build, Elemental Awareness.

Michael Kershnar street art Notre Dame Paris(fr) Kershnar s’illustre à la cathédrale Notre-Dame.

(en) Kershnar gets up by Notre Dame Cathedral.

michael kershnar grandfather(fr) L’arrière grand père de Michael.

(en) Michael’s great grandfather.

(fr) Et les idées antisémites, alors ?

(en) And the idea of anti-Semitism?

(fr) J’allais justement en parler : j’ai entendu des propos antisémites en France, un peu plus qu’aux États-Unis. Je pense que beaucoup de Français ne connaissent pas personnellement beaucoup de Juifs. Ils disent : « Tu sais, je ne parle pas pour toi ou ta mère, mais tu sais, les juifs en général… » Alors je réponds : « Je ne sais pas. De qui parles-tu ? » Voici une photo de mon arrière-grand-père. Il vient de Pologne (les autres viennent de Russie), mais ils n’étaient que des hommes en quête de spiritualité. Ce que j’aime, c’est la connexion que je ressens avec mon grand-père. Son nom de famille est Toreschreiber, qui signifie « calligraphe », et j’ai l’impression que cela fait partie de moi. C’est une force : je peux ajouter des lettres en hébreu, ce que personne d’autre ne fait. Mon histoire est par essence juive, et je m’y identifie. Mais je pense que le problème, c’est que certaines personnes pensent que c’est une tribu fermée, et il y a beaucoup de sentiments anti-israéliens ici. Je ne sais pas, parfois j’ai l’impression que je dois me cacher à cause de mes origines juives. Je pense que l’État d’Israël a le droit d’exister, et j’espère que ce sera pacifiquement et avec tout le monde. C’est un sujet compliqué.

(en) I was just going to say; I’ve heard some anti-Semitism in France, more than in the US actually, quite a lot. I think a lot of French people don’t know that many Jewish people very well. They’re like « well, you know, I’m not talking about you or your mum, but you know, Jews in general ». And I’m like, « I don’t know. Who are you talking about? » Maybe there are like secret people or something, but I don’t know them. This was my great-grandfather and he came from Poland and the rest came from Russia but they were just guys on their spiritual path. But what I like, the way I feel connected to it is that his last name is Toreschreiber which means they were calligraphers and I feel like that’s in me and that’s a strength in my letters and that I can do these Hebrew letters that nobody else can do, with Hebrew and English. My story is a Jewish story, and I identify with it, but I think a problem can be that sometimes people think it’s a closed tribalism, and there’s a lot of anti-Israeli sentiment here, and maybe those issues coincide. I don’t know, sometimes I feel like I have to keep my head down about Judaism or something. I think Israel has a right to exist, I wish it was peaceful with everybody in the world. These are difficult issues.

(fr) Et puis, on peut aussi parler de la Seconde Guerre mondiale. C’est une période lourde, je n’ai pas toujours envie d’en discuter, mais je suis prêt à en parler avec toute personne qui en manifeste l’intérêt. Mon grand-père a ouvert un marché de poulets kasher à Brooklyn, où mon père a grandi. Ils étaient cinq frères et sœurs et l’on pouvait lire ces vieux panneaux peints à la main sur lesquels était écrit « Kosher Poultry ». Je me sens à ma place, car ils ont tous pris le bateau pour venir aux États-Unis et contribué à la culture juive en nourrissant les gens. Plusieurs générations plus tard, je fais de l’art et je ressens une connexion forte avec mon passé. Mon grand-père a été blessé pendant la Seconde Guerre mondiale en France. Il a fini à l’hôpital ici et ne savait pas s’il allait guérir ou non, mais il est rentré chez lui et puis mon père est né. J’aimerais parler français comme lui. Mon histoire est une histoire juive et parfois, les gens pensent que c’est une mauvaise chose, mais c’est la culture dans laquelle je suis né et à travers laquelle j’ai été éduqué.

(en) And then there is the Second World War. It’s a heavy history, I don’t always want to go into everything, but I’m willing to talk to anyone about anything they want to talk about if they’re sincerely interested. My grandfather had a kosher chicken market in Brooklyn, that was where my father grew up, five brothers, and there were these beautiful old sign paintings, « Kosher Poultry ». I feel pretty neat because they all went on a boat to America and did something that was still somehow connected to Jewish culture and feeding people, and generations later it’s me and I’m doing fine art, but I feel connected to it. Even being in France, my grandfather was wounded in France in World War II and ended up in a hospital here and didn’t know if he was going to make it or not, but he came home and then my dad was born. I wish I could speak French like he does. My story is a Jewish story and sometimes I think people think that’s a bad thing, but it’s the culture I was born into and educated in.

michael kershnar canvas

(fr) Quels sont les aspects négatifs associés à cette histoire ?

(en) What were the negative aspects that the tribe created out of this collective history?

(fr) Il existe bien sûr des stéréotypes, comme « les Juifs sont avares », donc je dois payer des tournées ou accorder plus d’attention aux personnes. Tu dois toujours te battre contre les stéréotypes. Même si tu penses bien t’y prendre pour chasser les stéréotypes négatifs, quelqu’un viendra toujours te dire que tu es cupide ou probablement riche. Je n’approuve pas la cupidité. Certes, la cupidité existe dans toutes les cultures. Mais il est évident qu’il est préférable de partager plutôt que d’amasser. Tout le monde le sait et tout le monde essaie de faire de son mieux. Moi, je me demande : « Pourquoi suis-je juif ? Quelle est la grande leçon à en tirer ? » Peut-être est-ce l’humilité. Tu portes en toi quelque chose qui t’a beaucoup apporté, mais certaines personnes n’aiment pas ça. C’est un peu la nature du monde : il y a des éléments positifs et négatifs, il faut se focaliser sur les éléments positifs, même s’ils sont perçus négativement par les autres. Au fond de toi, ces choses sont positives, c’est en tout cas le sens que le judaïsme a pris pour moi. Je suis reconnaissant chaque jour pour les enseignements que l’on m’a transmis quand j’étais enfant et qui provenaient directement de l’Ancien Testament. Ce sont de précieux enseignements. Certaines de ces histoires sont folles. Par exemple, tu dois te demander : « Comment se fait-il que de bonnes personnes consentiraient à une lapidation ? » Cela menait à de nombreux débats intellectuels et à des commentaires sur les moindres détails. C’était une véritable éducation. Que ressens-tu face au judaïsme ?

(en) Well, there are the stereotypes, of course, like ‘Jews are cheap’, so then I might have to make sure I always buy rounds of drinks or treat people a lot or something. You always have to act against the stereotypes. And then, even if you think you’re doing a good job of countering a negative stereotype, someone will come and tell you that you’re a greedy Jew or that you’re probably rich anyway. I don’t agree with greed, some people are greedy in every culture. But it’s obviously better to share than to hoard. Everybody knows these things and I think everybody on earth tries to do their part. For me, I ask myself, « Why am I Jewish? What is the big lesson? Maybe it’s humility. You carry something inside you that has given you a lot, but some people don’t like it. That’s kind of the nature of the world, there are positives and negatives, so just take it and focus on the positives and even things that people can perceive as negatives, inside of you it can stay positive and that’s kind of what Judaism has been for me. Every day I’m grateful for the things that I was taught as a kid, which were straight Old Testament literature, and why that was spiritually valuable for a person in their everyday life, and I think that’s good teaching. And some of these stories are crazy, so you have to figure out « Why would good people allow stoning to happen? » and there would be these really intellectual takes on every little bit of it, so much commentary. It was an education. How do you feel about Judaism?

Michael Kershnar collage graffiti art California

(fr) Je ne connais pas toutes les histoires. Mais j’ai beaucoup de respect pour l’héritage que cela représente. Concernant l’Holocauste, j’ai remarqué que le livre Mein Kampf était en vente dans certaines librairies. Que penses-tu de ce livre ?

(en) I don’t know the stories. But I have great respect for the legacy. And as far as the Holocaust is concerned, I’ve noticed that the book Mein Kampf is available in certain bookshops. What do you think of this book?

(fr) Je n’aimerais pas qu’il figure dans le top 10 d’Oprah, mais si les gens s’intéressent à l’Histoire et qu’ils veulent le lire pour savoir ce qu’il a écrit, il n’y a aucune raison de les en empêcher. Je ne l’ai pas lu. Je n’ai aucune idée de ses arguments contre les Juifs. Bien sûr, l’idée d’une conquête mondiale visant à faire de l’Allemagne le monde entier est ridicule, et tout le monde peut se mettre d’accord là-dessus. Allons-nous tous mourir en envahissant ces pays ? Au bout du compte, la haine est mauvaise. Nous ne sommes pas sur Terre pour cela. Nous sommes ici pour créer une meilleure compréhension, de l’amour et de la communication. C’est pourquoi, même dans l’art, je fais des animaux. C’est au-delà de toutes les différences entre les êtres humains.

(en) I mean, I wouldn’t try to get it on the Oprah top ten list, but I think if people are interested in history and they want to read it to find out what he wrote, there’s no reason why they shouldn’t. I haven’t read it, I don’t know exactly what argument he makes against the Jews. Obviously there’s no truth in global conquest and turning the whole world into Germany, anyone can say that’s ridiculous. We’re all going to die to invade all these countries? In the end, hatred is wrong. That’s not what we’re here for. We’re here to create more understanding and love and communication. And that’s why I do animals, even in art. It’s beyond all the differences between people.

(fr) J’aimerais aussi encourager les gens à lire davantage d’ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale et les témoignages de survivants de l’Holocauste, comme le Journal d’Anne Frank, par exemple, afin de nuancer les choses. Je suis allé à Auschwitz seul, juste pour voir. J’ai été très troublé par l’Holocauste quand j’étais enfant, je pensais qu’un jour, peut-être, les policiers viendraient me chercher à l’école, car j’étais l’un des deux seuls enfants juifs de ma classe. Tout comme je l’ai lu dans les livres, et comment cela s’est passé à l’époque de mes grands-parents en Europe. Mais j’aimerais me dire que c’était une folle fantaisie, que cela ne s’est jamais produit. Peut-être s’agit-il d’un traumatisme historique. Il y a aussi un traumatisme en Israël, une terre qui a été historiquement la vôtre, la langue hébraïque, l’expulsion des Romains, mais ce n’est pas une cause populaire et ce n’est pas stable. J’aimerais que ce soit le cas, ce serait tellement bien. Je suis sûr que Jésus, Mohammed, Moïse et tous les autres voudraient que Jérusalem soit la ville la plus paisible de la Terre où l’on peut se promener en toute quiétude et ressentir les bonnes vibrations divines.

(en) I would also encourage people to maybe read some other stuff about the Second World War, some Holocaust survival stuff, The Diary of Anne Frank, to balance it out. I went to Auschwitz on my own, just to see it. I was really troubled by the Holocaust as a child, and I even thought when I was a little kid that maybe one day the cops would take me out of school because I was one of two Jewish kids in my class. Just like I read in a book how it happened in my grandparents’ time in Europe. But I would tell myself that’s a crazy fantasy, it would never happen. Maybe it was a historical trauma. And the trauma continues with Israel, a safe place that was historically yours, the Hebrew language, the Roman expulsion, but then it’s not a popular thing and it doesn’t work, it’s not stable. I wish it was stable, it would be so great. I am sure that Jesus and Mohammed and Moses and all the guys would want Jerusalem to be the most peaceful place on earth, where you can walk around and feel the good Godly vibes.

michael kershnar sunflower canvas painting(fr) Travail sur toile par Michael Kershnar.

(en) Canvas work by Michael Kershnar.

(fr) Que penses-tu qu’il faudrait faire pour apaiser la situation israélo-palestinienne ?

(en) What do you think could be done to ease the Israeli-Palestinian situation?

(fr) L’État d’Israël utilise une force excessive et j’espère qu’il y aura un changement moral rapidement, car tout est né des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Je pense que cela doit se produire avant que cette génération et la mémoire associée ne disparaissent. Sinon, cela va devenir un simple détail historique, une « vieille guerre qui s’est déroulée il y a longtemps », comme la guerre de 1812 dont personne ne se souvient. Le plus tôt sera donc le mieux pour la stabilité. Les gens qui ont peur se demandent sûrement : « Ces personnes nous donneront-elles un jour la paix ? » Toute la région est instable, il y a toujours quelque chose qui se passe. Si les choses s’arrangent du côté israélien, il faut qu’il y ait également du changement du côté palestinien. Ils doivent tous deux donner, recevoir, prendre et partager. Il faut qu’il y ait plein d’enfants différents dans la même salle de classe, qui grandissent ensemble. C’est un peu ce qu’ils ont fait aux États-Unis avec le racisme et la ségrégation. Cela ne signifie pas pour autant que le racisme a disparu.

(en) There is an excessive use of force by Israel and I hope there will be a moral change soon, because for me the whole thing is born out of the ashes of the Second World War, so it should happen before that generation is gone and the memory is gone. Otherwise it becomes like a historical footnote « some ancient war happened a long time ago… » Some historically insignificant war like the war of 1812 that nobody thinks about, you know what I mean? So the sooner the better for stability. I guess the fear is: « Will these people ever give us peace? The whole region is unstable, there’s always something going on. If it gets fixed, there has to be a change on the Palestinian side. If they get the keys back, they can’t go on saying they hate Israel or they hate the Jews, otherwise it won’t be peaceful. Both have to give and receive and take and share. More of the same schools, all this has to happen more and more. Tons of different children in the same classrooms, growing up together. Which is kind of what they did in America with racism and segregation. Not that racism is dead.

michael kershnar street art paris mural 11th arrondissement

(fr) Michael Kershnar peignant dans la rue Saint-Marthe et la rue Saint-Maure, à Paris dans le 10^e arrondissement. Photo de Marco Zavagno (2014).

(en) Michael Kershnar paints on the rue Saint Marthe and the rue Saint Maur in the 10th arrondissement of Paris. Photo by Marco Zavagno (2014).

(fr) Revenons-nous au judaïsme ? Utilises-tu certaines de ces histoires dans ton travail ?

(en) Going back to Judaism, would you say you use any of the stories in your work?

(fr) Oui, quelques-unes. Par exemple, dans le poster du concert que j’ai fait pour Stephen et Damian Marley, il y a une référence à Moïse et à la mer Rouge. Dans ce poster reggae, j’ai donc explicitement fait référence aux histoires de l’Ancien Testament. Mais ce n’est pas habituel, et seuls quelques amis qui connaissent la Bible le sauront. Ou peut-être que des gens « très juifs » ou « très chrétiens » qui ont lu la Bible le sauront. J’ai aussi fait référence à la ligature d’Isaac. C’est une histoire assez folle, et dans mes cours de religion, nous devions nous demander : « Pourquoi un Dieu d’amour demande à un père d’égorger son propre fils ? » Enfant, je m’inquiétais aussi des sacrifices d’animaux. « Mais l’animal a été sacrifié, pourquoi devons-nous donc couper la gorge d’un bélier pour Dieu ? » Tout cela renvoie à la nature de la vie et à notre manière de la consommer, à notre origine, à notre existence et à notre finitude. Si tu laboures un champ, tu détruis l’habitat des souris, donc même l’agriculture peut être considérée comme cruelle. Et dans toutes ces histoires, les « bonnes » choses finissent par arriver, le « divin » finit par gagner. Je suis bouddhiste et je crois que l’univers a été créé à partir d’un vide informe, d’un chaos total, et non pas par un Dieu aimant. Selon le judaïsme, c’est justement d’un Dieu aimant que le monde a été créé, et la nature de l’Homme est intrinsèquement bonne, ce qui te donne un sentiment d’appartenance à la Terre. Les gens sont bons, tout le monde veut voir le bon côté, c’est difficile à expliquer. Toutes ces doctrines sont bonnes : « ne fais pas de mauvaises choses », « donne et reçois de l’amour ». Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un système de récompenses. C’est plutôt un flux d’énergie positive. Et la nature l’a prouvé maintes fois. C’est une leçon que j’ai tirée du judaïsme : la nature est équilibrée, ce qui prouve à quel point Dieu est aimant, même envers les gros animaux qui mangent les plus petits. Tout est connecté, il faut voir les choses comme un équilibre d’amour, pas comme un requin vicieux parmi tous les beaux poissons colorés du monde. Le requin joue aussi son rôle.

(en) Yes, some of them, for example in a concert poster I did for Stephen and Damian Marley there was a reference to Moses and the Red Sea. So I’ve definitely referenced a lot of Old Testament stories in reggae posters. But it’s not that common and then only a few of my friends would know that. Or maybe very Jewish or Christian people who’ve read the Bible would know. The Binding of Isaac, I’ve mentioned that. It’s a crazy story, and in my religion class we’d have to work it out: « Why would a loving God ask a father to cut his own son’s throat? » It’s a hard story to hold on to, so there’s a lot of deconstruction and metaphor, and ultimately it can be seen as an uplifting story. But even as a kid I was concerned about the animal being sacrificed, « But the animal was sacrificed, why do we have to slit a ram’s throat for God? » And then it’s like the nature of life is consuming in the way that we’re all born, live and die, and if you plough a field you’re going to take houses from mice, so even the agrarian way can be cruel, and you, in the end it’s done to you. And all these stories, in the end the right thing happens, goodness wins in the end. I believe in Buddhism and they say that the universe was created from a formless void, total chaos, and it’s not from a loving God, and Judaism says that it is actually from a loving God and the inner nature of people is good, which makes you feel more at home in the world. The inner nature is good, people are good, everybody wants to see the good, it’s hard to explain. All these teachings, do good things, don’t do bad things, give and receive love. I don’t think it’s a reward system, it’s more like a tidal energy flow. And then nature proves itself again. That’s something I took from Judaism: « Look how perfectly balanced nature is, that’s how much God loves everything, even the big animals eating the other animals, it’s all connected. But you have to see it more as all balanced in love, not just as a vicious shark amongst all the beautiful colourful fish in the world, you know. Because the shark has a role to play too.

(fr) Si tu veux à manger, j’ai de l’avocat et du fromage.

(en ) So do you want something to eat? I have avocado and cheese…


(fr) Site et Instagram de Michael Kershnar.

(en) To find out more about the awesomeness that is Michael Kershnar, check out his website and Instagram.

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